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Victimes de fausses désignations, un automobiliste reçoit plus de 200 contraventions injustifiées

La fausse-désignation peut être lourde de conséquences pour la victime.

La fausse-désignation peut être lourde de conséquences pour la victime. - AFP

La justice réclame plus de 50.000 euros à un automobiliste victime de fausses désignations en série. Son permis de conduire perdu a été utilisé par de nombreux particuliers afin de le dénoncer comme l'auteur des faits d'infractions routières. Un cas qui ne serait pas isolé.

Plus de 200 contraventions reçues en moins de 3 ans pour des infractions commises un peu partout en France à bord de 150 véhicules différents: c'est le tableau de chasse impressionnant d'un automobiliste français. Sauf que ces infractions, il se démène aujourd'hui pour prouver qu'il ne les a pas commises. Il aurait en effet été victime de fausses désignations sur le site permettant de payer les amendes, mais aussi de les contester, l'Antai (Agence nationale de traitement automatisé des infractions).

51.700 euros d'amendes majorées

"Mon client est bien titulaire du permis mais, ironiquement, n'a jamais possédé de véhicule. Les incohérences de temps et de lieu, notamment avec des infractions commises sur le territoire alors qu'il se trouvait à l'étranger, permettent de prouver assez simplement qu'il n'est pas l'auteur des faits", nous explique Maître Eytan Benichou, l'avocat de ce client.

Tout commence en 2017 lorsque l'automobiliste égare son permis de conduire. Souvent en déplacement à l'étranger pour de longues durées et ayant déménagé en France, il n'a jamais reçu d'avis de contravention. Au point que, passé les 45 jours permettant de payer ou de contester, la machine s'emballe. C'est via son employeur, que l'administration fiscale contacte pour procéder à une saisie sur son salaire, qu'il comprend rapidement qu'il est devenu un bouc-émissaire pour de nombreux automobilistes. Les délais dépassés ont en outre gonflé l'addition initiale: les amendes majorées aboutissent à un total réclamé de 51.700 euros. 

Un détournement de la désignation du conducteur

Ce cas n'est pas isolé comme l'indiquait récemment un article du Parisien revenant sur cette pratique. Elle peut prendre deux formes. Dans le premier cas, le permis tourne sur internet et permet à des petits malins de procéder à une fausse désignation.

Mais il existerait également des réseaux de malfaiteurs, se présentant comme des cabinets d'avocats ou des spécialistes du droit routier. Contre un paiement de 50 à 150 euros environ, ils promettent de recourir à des "astuces juridiques" pour faire sauter une amende et le retrait de point qui l'accompagne. Alors qu'en réalité, ils procèdent à une fausse désignation. 

Cette pratique repose sur une faille du système, qui ne permet pas de repérer automatiquement ces fausses désignations. Le permis de conduire de notre automobiliste bouc-émissaire avait bien été déclaré volé, mais il n'y a pas d'échanges d'information entre le centre national de traitement des infractions routières de Rennes et les services en charge du permis de conduire. Le numéro de permis de conduire reste en effet attaché à vie à un conducteur, qui le conservera même s'il perd son permis et doit le repasser.

Aussi étrange que cela puisse paraître, il est donc possible de dénoncer un numéro de permis déclaré perdu ou volé, même si cela expose, bien sûr, à de lourdes sanctions.

Et il est assez évident de comprendre pourquoi: sur les 9 millions de contraventions automatiques adressées chaque année, 2 millions feraient l'objet d'une désignation. Un phénomène amplifié depuis le durcissement récent du dispositif incitant fortement les entreprises à dénoncer les salariés qui commettent des infractions dans des véhicules d'entreprise. L'officier du ministère public chargé de renvoyer les PV aux personnes désignées vérifie ainsi simplement que les données nécessaires (numéro et date de l'avis de contravention, identité de la personne désignée, numéro de permis de conduire) figurent dans le dossier mais ne procède pas à des vérifications supplémentaires.

Des faux-désignateurs pas vraiment inquiétés

Pour le particulier concerné, qui reçoit un avis de contravention après avoir été désigné, il est en revanche très simple de retrouver l'identité du désignateur. Il peut l'obtenir, toujours sur le site de l'Antai, dans la rubrique "consulter mon dossier". Une transparence logique puisque le réel conducteur du véhicule est censé connaître un minimum la personne à qui il l'aurait emprunté. Et pouvoir donc se retourner contre lui en cas de fausse-désignation.

D'après l'avocat du client aux plus de 200 contraventions injustifiés, le centre de Rennes commence à lui répondre et à procéder à des annulations de retraits de points. Mais il souhaite surtout que la justice prenne en compte deux préjudices: l'usurpation d'identité (puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende d'après l'article 226-4-1 du Code pénal) et la prise du nom d'un tiers qui expose à des poursuites pénales (5 ans de prison et 75.000 euros d'après l'article 434-23):

"Mon client souhaite se constituer partie civile pour réclamer des dommages et intérêts. Les enquêteurs ont tous les éléments pour permettre au procureur de la République de poursuivre les personnes ayant faussement désigné devant la juridiction pénale. A ce jour à ma connaissance, aucune poursuite n'a été engagée", poursuit Me Eytan Benichou.

Des condamnations dans le Nord 

En avril dernier, 16 personnes ont été condamnées par le tribunal de police de Lille après avoir procédé à de fausses désignations, comme le relate un article de La Voix du Nord, mais les sanctions se résumaient à des amendes et quelques suspensions de permis.

"Ces personnes ont été poursuivies pour l'infraction routière et pas par le tribunal correctionnel pour les délit d'usurpation d'identité et de prise de nom d'un tiers. Tant qu'elles ne seront pas condamnées pour les infractions délictuelles commises, cette pratique perdurera", s'indigne Me Eytan Benichou.

S'ils sont inquiétés, les particuliers ayant eu recours à de faux cabinets spécialisés pourront plaider qu'ils ont été manipulés et victimes d'une escroquerie. Un argument a priori recevable pour minimiser les sanctions. Une manière aussi de contrecarrer les malfaiteurs en sensibilisant le grand public sur l'impossibilité de "faire sauter des points et des amendes", sauf si bien sûr aucune infraction n'a réellement été commise. Dans ce cas, il faut de toute façon passer par le site de l'Antai ou envoyer un courrier pour contester ou dénoncer, et ne surtout pas passer par une entreprise ou faire confiance à des annonces en ligne.

Julien Bonnet