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Tesla va-t-il arrêter de vendre des voitures au grand public?

Un visuel de Tesla Model 3 sans volant ni pédale dévoilé lors de l'Autonomy Day du 22 avril 2019. A terme Tesla pourrait se concentrer sur la production de Robotaxis.

Un visuel de Tesla Model 3 sans volant ni pédale dévoilé lors de l'Autonomy Day du 22 avril 2019. A terme Tesla pourrait se concentrer sur la production de Robotaxis. - Tesla

Dans une série de tweets, Elon Musk semble suggérer que les véhicules de sa marque Tesla seront bientôt dotés de capacités de conduite autonome tellement avancées que leur prix devrait grimper en flèche. De quoi engager un changement de modèle économique en se tournant davantage vers des gérants de flottes de robotaxis plutôt que vers les particuliers? Décryptage.

C'était l'objectif principal de la Model 3, permettre à un public plus large d'accéder à une voiture électrique signée Tesla, avec un prix démarrant sous les 40.000 dollars actuellement aux Etats-Unis. Mais dans une série de tweets récents, Elon Musk semble suggérer que ce début de démocratisation de ces véhicules zéro émission pourrait bientôt prendre fin. En résumé, après la révolution électrique, ce serait l'heure de la révolution autonome et de l'autopartage.

Tesla en route vers la conduite 100% autonome

Avant de revenir sur les tweets en question, petit retour en arrière pour bien comprendre: le 22 avril dernier, Tesla organisait un événement faisant le point sur ses travaux dans le domaine du véhicule autonome. Une conférence destinée en premier lieu à ses investisseurs mais retransmise aussi en direct sur YouTube pour toucher un public plus large, réunissant passionnés de nouvelles technologies et d'automobile.

Parmi les annonces faites à cette occasion: l'installation d'une nouvelle puce dans les véhicules de la marque californienne, développée avec Samsung, et qui vient remplacer l'ancien système fourni par Nvidia, qui n'avait d'ailleurs pas vraiment apprécié d'être évincé de la sorte.

Le nom de cette puce: FSD, pour "Full Self Driving" traduit en "conduite entièrement autonome" afin justement d'accroître les capacités des Tesla, déjà réputées pour leur capacité de "conduite semi-autonome". La fonction "Autopilot" a en effet depuis longtemps contribué à faire connaître Tesla à travers le monde et d'attiser la curiosité du grand public. Depuis 2014 pour la première version, elle permet de disposer d'une conduite très assistée, avec le suivi des lignes de la route couplée au régulateur de vitesse adaptatif. Une fonction désormais assez répandue, même chez des marques plus généralistes comme chez les français PSA et Renault notamment.

Comme son nom l'indique, cette nouvelle puce FSD permettrait donc de décupler les capacités autonomes des modèles de Tesla, au point de les rendre capables de conduire vraiment toute seule. Elon Musk avait ainsi annoncé à l'occasion de cet "Autonomy Day" du 22 avril que les propriétaires de Tesla pourraient très bientôt partager leur véhicule, lorsqu'ils ne s'en servent pas, afin de générer des revenus complémentaires.

30.000 dollars par an en prêtant sa voiture

Un slide de la présentation d'Elon Musk évoquait ainsi l'exemple d'une Model 3 qui pourrait rapporter environ 30.000 dollars par an sur 11 années… soit 330.000 dollars au total. Un potentiel de gain non-négligeable et de quoi convaincre les plus réticents, Tesla jouant également sur son système de caméra, à l'extérieur comme à l'intérieur, pour rassurer ceux qui ne verraient pas d'un très bon œil le fait de laisser leur voiture personnelle à des inconnus. 

Des visuels d'une application d'autopartage avaient été présentés avec une présentation proche des applis de VTC.
Des visuels d'une application d'autopartage avaient été présentés avec une présentation proche des applis de VTC. © Tesla

Elon Musk parlait alors d'un déploiement techniquement possible en 2020. Mais le fantasque patron de Tesla a toutefois bien en tête que la réglementation doit aussi évoluer pour permettre à des voitures de circuler sans que la personne derrière le volant ne conduise réellement. Le cadre légal pourrait évoluer un peu plus rapidement aux États-Unis qu'en Europe, notamment pour soutenir les champions nationaux comme Tesla, Google et pourquoi pas Apple (dont le projet de voiture ressort régulièrement du placard) mais rien ne permet aujourd'hui de savoir si des voitures autonomes pourront bel et bien circuler sur routes ouvertes dès 2020.

Si l'on en croit Elon Musk, Tesla serait en tout cas capable de transformer une grande partie de ses véhicules déjà commercialisés en voitures autonomes. Seule condition: avoir souscrit l'option "capacité de conduite 100% autonome", que Tesla avait commencé à proposer fin 2016 évoquant déjà cet autopartage du futur. 

Les modèles produits depuis début 2019 sont en effet équipés de la fameuse puce FSD et sur les modèles livrés avec la précédente version de l'équipement (HW2+ dans le grahique ci-dessous) pourront en être équipés. C'est justement ce qu'a confirmé Elon Musk, en réponse à un tweet estimant le parc compatible avec cette révolution autonome à plus de 500.000 véhicules actuellement, répartis entre les Etats-Unis et l'Europe principalement.

Tesla prêt à tourner le dos au "grand public"?

Un peu plus loin dans cette même conversation sur Twitter, un utilisateur demande si "le temps est compté pour acheter une Tesla", étant donné que les prix devraient fortement augmenté avec l'arrivée de ces nouvelles capacités. Réponse assez directe d'Elon Musk: "oui".

"Pour être clair, les consommateurs pourront toujours acheter une Tesla, mais le prix aura augmenté de manière significative, une voiture totalement autonome pouvant fonctionner comme un robotaxi ayant bien plus de valeur qu'une voiture non-autonome", précise un peu plus tard Elon Musk.

Difficile en effet de comprendre comment Tesla pourrait continuer à vendre des voitures à "seulement" 45.900 dollars (le prix le plus bas actuellement aux Etats-Unis pour s'offrir une Model 3 avec l'option de conduite 100% autonome) ou 48.900 euros en France, si ces véhicules peuvent être amortis en moins de deux ans grâce aux revenus tirés de l'autopartage, si on reste sur l'hypothèse de 30.000 euros dégagés par an. 

Si on reprend le raisonnement d'Elon Musk, Tesla pourrait donc désormais se concentrer sur la construction de sa propre flotte d'autopartage ou fournir Uber et consorts, qui planchent eux aussi sur un avenir rempli de robotaxis. 

Un changement de modèle économique que la marque californienne avait déjà commencé à évoquer récemment. Dans son communiqué du 11 avril dernier, Tesla expliquait ainsi que ses nouvelles offres de leasing sur la Model 3 n'incluaient pas d'option d'achat justement en raison des futures capacités de conduite autonome. Ces dernières, après la période de location, lui permettraient en effet de dégager un nouveau revenu lors de cette seconde vie des véhicules. 

Pourquoi ce changement n'est pas pour tout de suite

Il faut toutefois rester prudent sur ce scénario éventuel. Tout d'abord, Elon Muk est un habitué des sorties "en roue libre" sur Twitter, ce qui lui avait d'ailleurs valu de se faire taper sur les doigts par le gendarme boursier américain l'été dernier. S'il a pu finalement s'en sortir avec une "simple amende" de 20 millions de dollars et rester aux commandes du constructeur, c'est un élément à prendre en considération. 

Dans la même veine, Elon Musk peut avoir une vision assez optimiste du calendrier de déploiement de ses nouveautés: on peut ainsi citer les retards de production de la Model 3 ou, sur cette thématique de la conduite autonome, ce tweet de début 2016, où il prévoyait que d'ici deux ans environ, il serait possible "d'appeler" sa Tesla qui se trouverait à New York... depuis Los Angeles. Comprendre: elle rejoindrait d'elle-même son propriétaire, avec des recharges qui pourraient être effectués sur des superchargeurs équipés de bras motorisés façon serpent mécatronique. Or, nous sommes désormais 3 ans et demi après ce tweet et il n'y a pas vraiment de Tesla capables de traverser les Etats-Unis d'Est en Ouest, ni de superchargeurs autonomes.

Reste aussi à savoir combien de temps prendra l'évolution de la législation permettant la circulation des voitures autonomes. En Europe, on se dirige plutôt vers des zones dédiées à des tests, sur routes ouvertes comme c'est le cas par exemple à Rouen, ou dans des centres dédiés, comme celui qui vient d'être inauguré à Linas-Montlhéry. Mais difficile d'envisager des voitures 100% autonomes en circulation sur toutes les routes à moyen terme.

Tesla a également plusieurs véhicules au programme au cours des prochaines années... et qui visent a priori une clientèle privée: le Model Y présenté en début d'année ou encore le nouveau Roadster. Ultra-sportif, ce dernier n'étant a priori pas vraiment adapté à de la conduite autonome et partagé.

Julien Bonnet