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Pourquoi les crashs de voitures Tesla enflamment les foules

Des pompiers suisses intervenant sur une Model S en feu après un accident.

Des pompiers suisses intervenant sur une Model S en feu après un accident. - Pompieri Bellinzona - Facebook

Les accidents récents avec des Tesla ont été particulièrement repris dans les médias, provoquant la colère d’Elon Musk qui se plaint d'un acharnement. Retour sur cette série noire.

17.000 commentaires, 47.000 partages et plus de 210.000 likes: les chiffres qui découlent de l’un des derniers tweets d’Elon Musk atteignent les mêmes niveaux démentiels que le cash englouti chaque semaine par Tesla.

Dans ce message pourtant, pas d'annonce d'une nouveauté importante pour la marque de véhicules électriques ou pour SpaceX, qu'il dirige également. Elon Musk y exprime sa volonté de "créer un site où le public pourra évaluer la véracité de n'importe quel article et suivre le score de crédibilité de chaque journaliste, groupes de médias et publications". Une initiative validée par près de 600.000 personnes, soit 88% des votants, dans un sondage lancé quelques instants plus tard.

Pour comprendre ce cri de colère d'Elon Musk contre les médias, il faut remonter un peu en arrière son fil Twitter.

Particulièrement actif sur ce réseau social, le patron de la marque de voitures électriques n’avait en effet pas manqué, le 14 mai dernier, de réagir à un accident survenu avec l’un de ses véhicules dans l’Utah (Etats-Unis). Et surtout à sa couverture médiatique.

Un accident en Model S sous Autopilot

Trois jours plus tôt, une jeune femme de 28 ans a en effet violemment heurté un camion de pompier immobilisé à un feu rouge. La photo de l’épave de sa Model S témoigne de la violence du choc et pour cause. La berline roulait à près de 100 km/h. La conductrice s’en sort avec une simple cheville cassée, pas de blessés du côté des pompiers.

Mais très vite, des doutes apparaissent sur son attitude au moment du choc: des témoignages indiquent qu’elle n’a pas freiné avant l’impact. La jeune femme a par ailleurs rapidement reconnu qu’elle était plongée dans son téléphone, alors que le système semi-autonome de sa Tesla, le fameux "Autopilot", était activé.

Au moment du choc, la conductrice de cette Model S a reconnu qu'elle utilisait son téléphone.
Au moment du choc, la conductrice de cette Model S a reconnu qu'elle utilisait son téléphone. © Culver City Firefighters - Facebook

Au moment du tweet d’Elon Musk (ci-dessus), on ne connaîssait pas encore ce dernier détail. L’article du Washington Post, vers lequel le patron de Tesla renvoie, indique simplement que la voiture était équipée de l’Autopilot, mais les raisons de l’accident sont encore mystérieuses.

"C’est complètement dingue que l’accident d’une Tesla qui n’a entraîné qu’une cheville cassée se retrouve en une d’un grand média alors que le fait que 40.000 personnes soient mortes l’an dernier dans des accidents de la route n'est pratiquement pas traité", écrit Elon Musk dans son tweet, soulignant dans la foulée qu’un tel choc ne laisse en général pas beaucoup de chances de survie aux occupants d’un véhicule. 

L'Autopilot, pari technologique risqué souvent pointé du doigt

C'est seulement quelques jours plus tard que les données récupérées par Tesla ont été publiées, avec le détail des actions effectuées par la conductrice imprudente dans son trajet avant l'accident repris notamment par le site spécialisé Electreck. Le compte-rendu traduit une utilisation anormale de l'Autopilot: même si la voiture suit les lignes de la route, le conducteur est toujours censé garder les mains sur le volant, ce que ne faisait visiblement pas la jeune femme. Juste avant son accident, elle avait réactivé l'assistant puis immédiatement retiré ses mains du volant.

"Elle n'a pas touché au volant pendant les 80 secondes précédant le crash, ce qui confirme le fait qu'elle consultait son téléphone", note le rapport.

Entre l'utilisation abusive de la technologie par la conductrice et la réaction épidermique d'Elon Musk, l'histoire a pris des proportions médiatiques énormes. Ce qui rappelle un autre accident. En 2016, la première personne officiellement décédée au volant d'une Tesla avec l'Autopilot, l'Américain Joshua Brown, avait eu moins de chance. Il avait placé une trop grande confiance dans le système proposé par la marque américaine. Alors que quelques semaines plus tôt, sa Tesla avait évité un accident alors que l'Autopilot était enclenché, en mai 2016, c'est justement sous Autopilot qu'il décède. Sa Tesla a percuté à pleine vitesse un camion en travers de la route.

Cet accident a marqué un tournant dans l'histoire de Tesla. La marque a en effet été blanchie dans cette affaire début 2017. Pour l'enquête des autorités américaines, le conducteur aurait dû réagir, Tesla précisant bien que le conducteur est tenu de garder les mains sur le volant et de surveiller la route. Ce à quoi il s'engage en acceptant les conditions d'utilisation. 

Or, le nom même du système et la communication autour de son lancement, ont été pointés du doigt. En Chine, la marque américaine avait d'ailleurs du un temps requalifier son super-assistant avant de finalement reprendre l'appellation "Autopilot". 

Le comportement des utilisateurs peut aussi se révéler assez inquiétant. Au lancement du système, des vidéos étaient apparues montrant des postes de conduite sans personne au volant, le propriétaire prenant un malin plaisir à filmer son véhicule roulant "tout seul" depuis les places arrière.

S'il est impossible actuellement de contrôler réellement ce que font les conducteurs de véhicules ultra-modernes équipés de ces technologies (que l'on retrouve aussi chez Mercedes et Audi par exemple), on peut tout de même se demander si ces assistants n'invitent pas à la distraction. En se croyant déjà à bord des futurs véhicules 100% autonomes -ce qui n'est pas le cas- n'y aurait-il pas un risque de déconcentration trop important? Autrement dit, la conductrice accidentée dans l'Utah aurait-elle tenu son téléphone en main si longtemps si elle avait été au volant d'un véhicule sans ces fonctions avancées?

Il faut toutefois rappeler que la forte hausse des cas de téléphones au volant en France ces dernières années, en cause dans un accident grave sur dix, ne s'explique a priori pas par une explosion des ventes de modèles premium avec assistant de conduite semi-autonome. 

"Il y a clairement une réaction disproportionnée à ces accidents mais c'est aussi une conséquence de la surexposition médiatique d'Elon Musk, souligne Frédéric Fréry, professeur de stratégie à ESCP Europe. Il est tellement provocant dans sa manière de communiquer, on se souvient du tweet annonçant la faillite de Tesla le 1er avril dernier, et il tend donc un peu le bâton pour se faire battre. Cela plaît aux clients et aux fans de la marque, moins aux communicants et aux médias."

Ces critiques faites à Tesla, notamment sur l'Autopilot, sont-elles justifiées? "Il y a beaucoup moins d'accidents sur les véhicules équipés de ce système d'assistance à la conduite que sur les voitures qui n'en disposent pas. Pour moi Tesla devrait beaucoup plus insister sur ce point", souligne Frédéric Fréry.

Si Elon Musk peut faire diversion en envoyant une Tesla dans l'espace ou en dévoilant les détails concernant la version transmission intégrale de la Model 3 directement sur Twitter, ce qui a d'ailleurs pour effet de soutenir le cours de Bourse de la marque de voitures électriques, la prise de risque médiatique importante est souvent sanctionnée par les médias au moindre écart. 

Emballement médiatique sur l'emballement thermique?

De la même manière que l'assistance poussée à la conduite, la voiture électrique moderne, avec en général des batteries lithium-ion, se révèle récente et relativement méconnue, ce qui favorise une inquiétude autour de cette technologie. Ces derniers mois, deux accidents ont rappelé qu'il règne une certaine fébrilité autour des Tesla en feu.

Après un choc extrêmement violent à Fort Lauderdale (Floride) début mai, une Model S s'enflamme avec au moins deux jeunes étudiants tués à bord. Electreck publie alors un article pour afficher son agacement de voir un tel fait divers repris par de nombreux médias nationaux alors même que, tous les jours selon les statistiques, 500 voitures thermiques prennent feu aux Etats-Unis et 100 personnes perdent la vie dans des accidents de la route. Le site rappelle aussi à cette occasion un fait simple: une voiture, électrique ou non, peut prendre feu lorsqu'elle vient se fracasser contre un mur à haute-vitesse.

Même constat quelques jours plus tard sur une autoroute suisse, avec un conducteur allemand qui se tue au volant de sa Model S, cette dernière prenant rapidement feu. Mais ici, ce n'est pas la presse, mais c'est la réaction des pompiers qui donnent du grain à moudre aux médias. Dans un premier post Facebook, supprimé par la suite, ils expliquent que l'intervention est rendue complexe en raison du phénomène "d'emballement thermique" des batteries, ce qui crée une certaine confusion entre l'origine de l'accident et sa conséquence, l'embrasement.

Il n'y a pas de fumée sans feu

Le lien de causalité est parfois inversé avec des titres évoquant des batteries "en cause" dans ce drame. Les pompiers feront finalement un autre post dans lequel ils indiquent s'être appuyés sur les informations relatives aux secours, disponibles sur le site officiel de Tesla, pour maîtriser l'incendie.

Mais, comme on dit, il n'y a pas de fumée sans feu. Cette psychose n'est certainement pas liée à un grand complot du lobby pétrolier pour effrayer sur la technologie électrique (ce qu'on peut parfois lire sur les réseaux sociaux) mais bien à des caractéristiques intrinsèques des batteries lithium-ion, hautement inflammables. Les incidents rencontrés au début du programme Dreamliner de Boeing, qui embarquaient de telles batteries, et par le fabricant de smartphones Samsung, avec son Note interdit de vol par précaution après plusieurs cas d'incendies spontanés, ont bel et bien marqué les esprits.

Les voitures thermiques brûlent aussi mais on n'en parle pas

Dans de très rares cas, les véhicules de Tesla ont aussi été victimes d'embrasements qui n'ont pas été consécutifs à des chocs violents, comme ce fut le cas en août 2016 à Bayonne (Pyrénées-Orientales). Sur ce cas précis, le problème avait été identifié et ne s'est pas reproduit depuis.

Les voitures thermiques, avec des organes soumis à de fortes températures, un réservoir de carburant et les différents flux qui circulent dans le groupe motopropulseur, présentent aussi des risques d'embrasement. Des événements plutôt courants dont on ne parle pas dans les médias.

Dernier exemple: l'incendie de la dernière Alpine 110, partie en fumée entre les mains de nos confrères britanniques de Top Gear, dans le sud de la France. La structure en aluminium, (dont les modèles de Tesla sont aussi en grande partie constitués), a en outre favorisé une propagation rapide des flammes. La couverture médiatique s'est elle montrée plus sobre. 

Sous ces énormes flammes, pas une Tesla ou une voiture électrique mais une nouvelle Alpine A110.
Sous ces énormes flammes, pas une Tesla ou une voiture électrique mais une nouvelle Alpine A110. © Top Gear BBC
Julien Bonnet