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Pourquoi les voitures sont quasiment toutes noires, grises ou blanches

Vous possédez une voiture grise? Félicitations, vous êtes dans la norme.

Vous possédez une voiture grise? Félicitations, vous êtes dans la norme. - Flickr/Todd Lappin

Il n’y a jamais eu autant de teintes possibles et imaginables disponibles pour les acheteurs de véhicules neufs. Pourtant la même tendance se confirme chaque année: les voitures aux couleurs neutres et sobres sont les plus prisées. Pourquoi si peu de fantaisie? Voici quelques éléments de réponse.

Le marron "Beluga Brown" de Audi, le rose métallique (oui, ça existe) "Pink Kong" d'Opel, le rouge "TorRed" et le jaune "Yellow Detonator" de Dodge ou encore l'hilarant "Hardly Green" (que l'on peut traduire par "à peine vert") d'Aston Martin: les constructeurs se donnent du mal pour vous faire rêver avec des couleurs exclusives, créés à l'aide de technologies nouvelles, de vernis innovants, fruits d'innombrables journées de travail dans les laboratoires où elles sont élaborées. Mais le consommateur, ingrat, fait fi de ces efforts, car le constat est sans appel. Depuis plusieurs décennies les voitures les plus écoulées en France et dans le monde sont blanches, grises ou noires.

La voiture blanche en tête des ventes

Pour Christophe Couture, responsable de laboratoire au département peintures constructeurs pour BASF France, la raison est avant tout liée à un certain pragmatisme. "Les acheteurs choisissent des teintes neutres, qui facilitent une revente future, explique le chimiste. Si on vous offre une voiture et vous laisse le choix, vous la prendrez rouge, jaune. Si c'est votre investissement alors vous opterez pour le blanc, le noir ou le gris." Il est vrai que les Français gardent en moyenne leur véhicule cinq ans selon l'Insee. Mieux vaut alors s'assurer une revente facile et rapide lorsque l'on veut renouveler son parc automobile.

Selon des chiffres publiés par PPG Industries, le palmarès des ventes françaises en 2015 est dominé par le blanc (28%), le gris (26%) et le noir (20%). Une tendance européenne et mondiale. Sur ce plan, toujours selon PPG Industries, le blanc écrase même la concurrence puisque il représente 35% des ventes pour l'année 2015, une tendance qui se justifie par les ventes en Asie (41% des véhicules achetés en 2015) où la couleur est très prisée, car synonyme de pureté. A titre d'exemple, une voiture sur deux vendue l'année dernière en Chine était blanche. 

Un rien de tel qu'un coup d’œil aux embouteillages pour se faire une idée de la domination du blanc en Chine.
Un rien de tel qu'un coup d’œil aux embouteillages pour se faire une idée de la domination du blanc en Chine. © gawker.com

Des gris, blanc, noir moins fades 

Dès lors, pourquoi travailler si activement à développer des couleurs spéciales pour des entreprises comme BASF, et pourquoi les constructeurs continuent-ils à élargir leur palettes, alors que la formule magique semble toute trouvée? Les choses ne sont pas si simples, car il y a eu un véritable travail de diversification des procédés et des teintes pour le blanc, le noir et le gris. "Les clients veulent de la personnification, on a besoin de nouveaux pigments, de nouveaux vernis pour offrir des effets spécifiques", détaille Christophe Couture.

Il ne s'agit donc pas d'offrir une teinte fade et classique, mais de décliner autant que possible des couleurs pourtant basiques. Des blancs plus sophistiqués, des noirs de plus en plus profonds. "Fiat a ouvert la voie il y a quelques années avec l'apparition de blancs perlés, nacrés", poursuit Christophe Couture. Le blanc est devenu à la mode en France et en Europe au milieu des années 2000, profitant d'une "influence japonaise et asiatique" selon l'ingénieur de BASF, mais aussi au détour des avancées technologiques des fabricants.

Le blanc nacré de la Fiat 500, proposé de série a marqué un tournant. Plus seulement réservé aux utilitaires, le blanc peut être décliné de mille façons et être "tendance".
Le blanc nacré de la Fiat 500, proposé de série a marqué un tournant. Plus seulement réservé aux utilitaires, le blanc peut être décliné de mille façons et être "tendance". © Fiat

Les ressorts psychologiques des couleurs valent aussi dans l'automobile

Le pragmatisme entre en compte dans le choix d'une voiture, mais il découle d'un ressenti vis-à-vis des couleurs qui tiennent beaucoup à la psychologie. Karen Haller est une spécialiste australienne de la psychologie des couleurs basée à Londres. Elle collabore avec diverses entreprises telles que Skoda UK, Dove et 3-M Post-it, entre autres. Pour l'experte, les explications de la domination des teintes les plus neutres sont aussi dues à des a-priori courants chez les consommateurs.

"Le noir, le blanc, le gris argenté sont des couleurs qui évoquent l'ambition et une certaine classe", souligne la chercheuse. Un dicton populaire raconte qu'on ne s'habille pas pour le poste que l'on occupe, mais pour celui que l'on vise. L'adage est aussi vrai pour les voitures. "Ces couleurs sont aussi perçues comme des signes de réussite, ils envoient le signal aux autres que vous êtes une personne ambitieuse", ajoute Karen Haller.

Pour illustrer son propos, elle prend l'exemple de l'iPhone. "Apple a très bien cerné la psychologie de ses clients avec le code couleur de ses smartphones, analyse la chercheuse. Les modèles noirs, blancs, puis dorés sont les plus chers. Au contraire, les modèles bleus, verts, oranges sont ceux d'entrée de gamme." Ceci est dû à ce que la spécialiste considère comme étant une "hiérarchisation" des couleurs. "Les gens groupent les teintes, celles qui font adultes, celles qui paraissent enfantines à leurs yeux." Le noir, pour sa discrétion, mais aussi le sérieux qu'il inspire est d'ailleurs la couleur habituelle des véhicules officiels, donc des personnes importantes.

Le vert, couleur préférée des années 90

Une autre raison avancée par Karen Haller est celle d'un certain conformisme alimenté par le contexte économique et social. Les acheteurs sont rassurés à l'idée de "rentrer dans le moule", de ne pas se faire remarquer. Surtout dans un contexte de marasme économique, les gens ne veulent pas faire de vagues par la faute de couleurs trop "bruyantes, criardes, trop intenses".

Ce qui expliquerait cet alignement amorcé dans les années 1980 et intensifié dans les années 2000 des acquéreurs autour des couleurs les moins clivantes, les plus neutres possible, soit le blanc, le gris, le noir. Et ce au détriment du vert, par exemple, qui était encore la couleur préférée des acheteurs nord-américains entre 1994 et 1997, ou du rouge, teinte la plus populaire en Europe jusqu'en 1985, qui disparaît du top 3 dès 1997.

Dommage, car le vert est une couleur apaisante. "Elle est la moins fatigante pour les yeux, la plus facilement assimilée et rappelle la nature, précise Karen Haller. Le vert bouteille est très apaisant, rassurant". Au contraire du pourtant si populaire gris. "La vue d'un gris issu d'un blanc et d'un noir pur, peut-être épuisante pour le cerveau qui analyse cette couleur, reconnait la chercheuse australienne. L'antagonisme du blanc et du noir peut favoriser l'apparition d'une fatigue ou l'accentuer".

Le Ford Explorer est le troisième véhicule le plus vendu aux Etats-Unis en 1995. Effectivement, en vert bouteille il fait bien moins mal aux yeux.
Le Ford Explorer est le troisième véhicule le plus vendu aux Etats-Unis en 1995. Effectivement, en vert bouteille il fait bien moins mal aux yeux. © Ford

Dis moi de quelle couleur tu roules... Je te dirai qui tu es ?

Même si la consultante en psychologie des couleurs insiste pour rappeler qu'il ne s'agit pas d'une science exacte, elle confesse qu'il y a tout de même certains types de personnalités qui ressortent dans les choix de coloris.

Ceux qui jettent leur dévolu sur une voiture rouge ont plus tendance à vouloir attirer le regard, à être "m'as tu vu". Karen Haller l'affirme: "On ne peut pas se cacher en rouge". Ils seraient aussi les plus portés sur la vitesse et la conduite agressive, car ces derniers sont plus disposés à prendre des risques dans la vie.

Une rencontre au sommet entre deux Ferrari bien rouges comme il faut.
Une rencontre au sommet entre deux Ferrari bien rouges comme il faut. © gawker.com

Tout le contraire des adeptes du jaune ou de l'orange clair. Ils seraient les plus joviaux et les profils les moins enclins à connaître un jour un épisode de "rage au volant", une expression née aux Etats-Unis pour qualifier une colère provoquant des comportements dangereux au volant, liées à une frustration face aux autres conducteurs. Ce qui ne les empêche pas aussi d'être exubérants, ce sont ceux qui "seraient les plus sûrs d'eux-mêmes", selon Karen Haller. Vous savez donc près de qui se ranger sur la route, en cas de bouchons, et à qui il vaut mieux faire une queue-de-poisson.

rédaction