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Pourquoi la fin des 80km/h n’est pas pour tout de suite

Si l’annonce en a été faite avant l’été, l’assouplissement de la règle des 80km/h ne devrait pas être mis en œuvre à la fin de l’année.

Sur près de la moitié des routes françaises, les automobilistes roulent toujours à 80km/h. Le Premier ministre Edouard Philippe avait pourtant lâché du lest mi-mai, en ne s’opposant pas à un retour à une limitation à 90km/h sur certaines portions. Dans la foulée de cette annonce, 49 présidents de départements avaient pourtant fait savoir qu’ils envisageaient d’assouplir la règle des 80km/h. Mais depuis plus de 3 mois, rien n’a changé. Et rien ne devrait changer d’ici la fin de l’année. Le tout sur fond de grogne de certains élus.

Aucun texte de loi pour le moment

Aujourd’hui cependant, la législation qui encadre ce retour au 90km/h n’existe pas. Le pouvoir délégué aux présidents de département de ramener la vitesse de 80 à 90 km/h sera inscrit dans la loi d’orientation des mobilités (Lom). Or, en commission mixte paritaire en juillet, les députés et sénateurs ne sont pas parvenus à un accord. La loi doit donc revenir devant l’Assemblée à la rentrée. Mais avec l’arrivée de gros dossiers comme la PMA, les observateurs craignent qu’elle ne soit pas réexaminée tout de suite.

Certains départements ont eux déjà commencé à étudier leur plan de retour au 90km/h, comme en Haute-Marne. Dès la fin mai, Nicolas Lacroix, le président du conseil départemental, avait détaillé comment il comptait repasser 500 des 4000 kilomètres de routes à 90km/h. Mais Nicolas Lacroix devra attendre le vote définitif et la promulgation de la Lom pour mettre en place son plan. Tout du moins, si celle-ci reste en l’état. C’est là que des tensions apparaissent entre l'exécutif et certains présidents de département.

La grogne des élus locaux

Lorsqu’il a annoncé un assouplissement à venir en mai, Edouard Philippe avait bien fait sentir aux élus locaux qu’un hausse de la mortalité routière, une fois revenus sur les 80km/h, reposerait sur leurs épaules.

"S'il y a des accidents mortels sur ces tronçons à 90 km/h, c’est vers eux (les conseils départementaux, NDLR) que ces familles vont se tourner", estimait alors sur notre antenne Stéphane Vernay, directeur de la rédaction parisienne de Ouest France.

Le comité des experts de la sécurité routière a publié en juillet une série de recommandations pour aider les présidents de département. Or, certains l’ont mal pris.

"Il y a une réunion du conseil départemental de la sécurité routière, qui fixe un certain nombre de recommandations, qui si elles devenaient très, très fortes, ou étaient appliquées, rendraient absolument impossible de refixer à 90km/h", s’indigne ce mardi au micro de BFMTV Patrick Septiers, président UDI du conseil départemental de Seine-et-Marne.

Parmi les recommandations du comité des experts, privilégier le retour à 90km/h sur les routes dont le tronçon concerné ne devrait pas mesurer moins de 10 kilomètres de long. Il faut aussi privilégier la mise en place de séparateur central, sur la chaussée, ou des routes avec des virages larges avec une bonne visibilité.

"Les conditions sont telles qu'il sera presque impossible aux collectivités concernées de revenir à la situation antérieure, déplorait dans Le Parisien mi-juillet Pierre Bédier, président LR du conseil départemental des Yvelines. On nous empêche de le faire en multipliant les obstacles techniques". Une manière pour l’exécutif de mettre les élus devant leur responsabilité?

Du côté de la délégation interministérielle à la sécurité routière, Emmanuel Barbe rappelle qu’il ne s’agit que de recommandations. "Ces recommandations disent: ‘si vous voulez prendre cette mesure [du retour à 90km/h, ndlr] en toute sécurité, voilà ce qu’il faut faire, mais ce n’est qu’un avis, non contraignant", nous explique le délégué.

L'information, une donnée cruciale

Les conseils départementaux devront mener une étude sur l’accidentologie dans leur département, puis saisir le comité consultatif de la sécurité routière du département pour un avis. Les élus récupèrent actuellement des données sur les accidents et leurs causes, auprès des préfectures, de la gendarmerie. Mais reste ensuite à mettre en place tout le processus d’analyse, avec des outils prédictifs, pour comprendre les effets d’un passage à 90. Autant d’actions dont n’ont pas forcément l’habitude les élus et fonctionnaires territoriaux.

Si la loi est votée dans les mêmes termes, une fois le retour de la limitation de vitesse à 90km/h, se posera aussi la question de l’information des automobilistes, qui risquent d’être perdus. Toutes les routes ne repasseront pas à 90km/h, certains départements comme les Ardennes ayant annoncé que les 80 seraient maintenus partout. Dans un même département ayant voté l'assouplissement, les routes départementales pourront être limitées soit à 80, soit à 90. Les routes nationales, qui restent dépendantes de l’Etat, pourraient rester à 80km/h.

Nicolas Lacroix estimait en mai ainsi qu'en Haute-Marne, ce retour à 90 coûterait plus cher que lors du passage à 80, entre la dépose des panneaux 80, le retour de panneaux 90, et l’obligation de mettre certainement plus de panneaux, comme les règles de la vitesse seront à la carte.

D’autres professionnels comme Matthieu Brun-Bellut, directeur Technologies, produits et services chez Coyote, suivent également de près un éventuel assouplissement des 80km/h. "Nous espérons qu’il y aura une centralisation nationale des données, explique Matthieu Brun-Bellut. La véritable problématique dans ce changement de réglementation sera en effet de les récupérer". L’information sera cruciale pour éviter les amendes, suite aux contrôles de vitesse. Et donc pour éviter de ranimer la colère contre les radars, née entre autres après le passage aux 80km/h le 1er juillet 2018.

Pauline Ducamp