BFM Business
Auto

Les Français n'ont jamais autant roulé à l'E85

En juillet, en mettant 32 millions de litres de cet agro-carburant dans leurs voitures, ils ont tout simplement enregistré le record mensuel de consommation de ce mélange de super-sans plomb, et d’éthanol (85%).

En juillet, en mettant 32 millions de litres de cet agro-carburant dans leurs voitures, ils ont tout simplement enregistré le record mensuel de consommation de ce mélange de super-sans plomb, et d’éthanol (85%). - PIERRE ANDRIEU / AFP

En juillet, la consommation d'E85 a battu un record. Derrière cet engouement, lié notamment à une fiscalité avantageuse, certaines questions demeurent.

Les Français n’ont jamais autant consommé d’E85. En juillet, en mettant 32 millions de litres de cet agro-carburant dans leurs voitures, ils ont tout simplement enregistré le record mensuel de consommation de ce mélange de super-sans plomb et d’éthanol (85%).

"Nous n’avons pas encore tous les chiffres précis pour le mois d’août, mais nous pouvons espérer une consommation équivalente à juillet, se félicite Nicolas Kurtsoglou, responsable carburants au syndicat national des producteurs d’alcool agricole. La consommation entre janvier et août aura forcément dépassé les 182 millions de litres consommés, soit autant que sur l'ensemble de l’année dernière".
  • Un seul modèle neuf vendu sur le marché

D’une pratique discrète, car en partie illégale jusqu’à l’an dernier, la conversion d’une voiture essence à l’E85 se développe petit à petit. A tel point que certains constructeurs ont choisi de lancer des modèles neufs. C’est le cas de Ford, qui commercialise depuis ce printemps le SUV Kuga en mode flexfuel. Et ça marche.

"En février, nous faisions 95% de nos ventes de Kuga en diesel, en un mois nous sommes passés à 85% de Kuga flexfuel, précise Fabrice Devanlay, directeur des relations publiques du constructeur américain. Nous avons déjà plus de 3000 commandes, nous atteignons 115% de nos objectifs de vente". "C’est plus que les immatriculations, sur le mois de juillet, de véhicules hybrides rechargeables: 1411, contre seulement 1184", ajoute Nicolas Kurtsoglou. A tel point que d’autres modèles de la gamme seront aussi bientôt disponibles en version E85, et que d’autres constructeurs seraient aussi sur le point de se lancer.

  • Une homologation légalisée en 2017 seulement 

L’E85 connait ainsi une seconde jeunesse en France. Ce carburant avait été lancé en 2007. Des pompes avaient été installées, et surtout certains constructeurs commercialisaient alors des modèles neufs: Dacia Sandero ou Volkswagen Golf.

Surtout, sur les forums, écument des techniques pour passer son véhicule essence à l’E85, avec un boitier de conversion (pour un diesel, il faut du biodiesel). Jusque fin 2017, la pose de ces boîtiers n’était pas légale, il est donc difficile d’estimer le nombre de véhicules circulant actuellement en France avec ce type de carburant. Cinq boitiers sont aujourd’hui homologués par l’UTAC-Ceram et sont compatibles avec "80% du marché des véhicules essence", selon Flexfuel Energy Development (FFED), qui fabrique ces boîtiers.

Certains professionnels notent que la conversion s’effectue surtout sans boitier. "Ils commencent par 10% d’E85, 90% de sans-plomb, puis 20% d’éthanol et 80% de sans-plomb, et ainsi de suite, et roule ainsi à l’E85, sans boitier", nous explique David Deregnaucourt, fondateur de Spheretech, entreprise spécialisée dans le diagnostic moteur et les produits d'entretien.

  • Le véritable avantage : le prix, mais jusqu'à quand?

Un boitier coûte, selon le type de véhicule et hors main d’œuvre, entre 500 et 1000 euros. Or, tout le succès de l’E85 se base sur le prix. A la pompe, le litre vaut 0,69 euro, quand le sans-plomb 95 tourne autour des 1,50, selon les derniers chiffres du ministère de la Transition écologique.

"Tout est entre les mains de l’Etat, c’est donc assez artificiel. Si les autorités se rendent compte qu’il existe un manque à gagner, les taxes augmenteront. Tout cela est très artificiel", rappelle Flavien Neuvy, président de l’Observatoire Cetelem de l’Automobile.

A tel point que certains professionnels font un parallèle avec l’époque du tout-diesel… "Les promesses n'engagent que ceux qu'y croient", assène un fin connaisseur du secteur pétrolier. 

  • Une consommation plus importante

L’E85 n’a cependant pas les mêmes propriétés que l’ex carburant star. Tout d’abord, une voiture à l’E85 consomme plus, entre 20 et 25% qu'un modèle essence. De quoi relativiser l'avantage du prix du litre à la station.

Ensuite, en ne regardant que ce qui sort du pot d’échappement, un véhicule roulant à l'E85 émet à peine 3 à 5% de CO2 en moins. La pose d’un boitier demande alors certes le changement de la carte grise, mais ne fait en aucun cas évoluer la vignette Crit’Air dont dépend le véhicule. Si le conducteur s'y retrouve niveau porte-monnaie, il sera soumis aux mêmes interdictions de circulations qui touchent les anciens véhicules dans les grandes agglomérations.

Les véhicules roulant à l’E85 bénéficient pourtant désormais de la prime à la conversion, avec un abattement sur le niveau de CO2. Ce dernier prend en compte les émissions sur toute l'ensemble du cycle de vie de cet agro-carburant, de l’extraction à la consommation. "L'E85 est produit en France à grande majorité, il assure notre indépendance énergétique", poursuit Nicolas Kurtsoglou.

  • Des risques pour les motorisations?

Au-delà de la consommation, la question se pose sur l’usure provoquée par l’E85.

"L’alcool est super-dégraissant, il est de plus hydrophile, c’est-à-dire qu’il peut attirer l’eau venue de la condensation, cela peut poser de gros problèmes à l’usage, nous confie David Deregnaucourt. Tous les moteurs ne sont pas adaptés, il ne faut surtout pas faire la conversion soi-même sans boitier. Et même avec un boitier, il faut utiliser un lubrifiant adapté".

A tel point que sur des moteurs essence très récents, à injection directe, David Deregnaucourt déconseille d’utiliser l’E85, même avec un boitier, car ils risquent de souffrir d’ennuis mécaniques coûteux. Or, avec la pose d’un boitier, la garantie sur le groupe moto-propulseur n’est plus assurée par le constructeur, mais par le fabricant de boitier.

Certains ingénieurs motoristes pointent eux un épiphénomène français. Il est très difficile d'avoir des chiffres concernant le nombre de véhicules roulant au quotidien à l'E85. En France, on estime qu'à cet été, environ 100.000 voitures roulent en France à l'E85, sur un parc de 32 millions de voitures. 

A part la Suède, peu d’autres pays en Europe proposent ce type de carburation. L’autre grand marché se trouve de l'autre côte de l'Atlantique, au Brésil. 

Pauline Ducamp