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La voiture, entre cauchemar et solution idéale des déplacements post confinement

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Les précautions sanitaires liées à l'après confinement pourraient faire de la voiture le choix numéro 1 pour les déplacements, ce qui peut rassurer un secteur à l'arrêt. Mais cet engouement potentiel fait craindre une forte reprise des bouchons et de la pollution qui l'accompagne.

Et si le périphérique parisien passait en quelques jours d'une circulation historiquement fluide à ses traditionnels bouchons d'avant-crise? C'est le scénario qu'on peut désormais imaginer à partir du 11 mai. Ou plus tard, dans la perspective d'un déconfinement progressif dont les dates restent encore à définir.

Comment faire sans transports en commun?

En région parisienne par exemple, l'enjeu principal est d'anticiper la migration plus ou moins massive des usagers des transports en commun vers d'autres formes de mobilité. Avec cinq millions de personnes qui empruntent quotidiennement les transports publics en région parisienne, un report massif pose ainsi déjà question. Avec une capacité de transporter de seulement 20% des usagers habituels, estime Jean-Claude Delarue, porte-parole de la fédération des usagers des transports en commun, plusieurs millions de personnes devront trouver une autre solution.

C'est ce que souligne également Stéphane Schultz, de la société de conseil en innovation 15marches.

"Les 4,3 millions de Franciliens qui ont un Pass Navigo pourront-ils se passer de leur mode de déplacement? Le métro “accueillait” souvent plus 4 personnes par m2…combien faudra-t-il de capacité supplémentaire pour faire respecter une distanciation, disons, de 1 personne par m2?", se demande-t-il dans sa dernière newsletter.

Le maintien d'une part importante de télétravail réduira certes la fréquentation dans les transports mais, pour les déplacements du quotidien, la voiture individuelle pourrait s'imposer comme un moyen de se déplacer privilégié, comme cela se dessine par exemple en Chine.

Contrairement aux transports en commun ou aux autres formes de mobilité partagée (voitures mais aussi vélos ou trottinettes en libre-service), elle a bien sûr l'avantage d'éviter les contacts avec des surfaces potentiellement contaminées par des personnes n'appartenant pas au même cercle familial confiné.

La voiture comme cocon de protection mobile 

L'habitacle fait également office de cocon de protection. Ce n'est pas pour rien si de nombreux tests de contamination au coronavirus à travers le monde ont été organisés sous la forme de "Drive", où les conducteurs peuvent notamment attendre à bord de leur véhicule, ce qui garantit le respect des gestes barrière avec les soignants et les autres patients. 

Les taxis et VTC ont mis en place des protocoles d'hygiène drastiques pour rassurer à la fois chauffeurs et clients. La compagnie G7, en Ile-de-France, propose ainsi depuis peu l'installation d'une séparation transparente à bord, entre l'avant et l'arrière du véhicule. Une manière aussi de se préparer à l'après-crise et un afflux de clients à la recherche d'une solution de déplacement sécurisée. 

"Notre premier objectif est d'assurer la sécurité des chauffeurs et des passagers actuellement mais à plus long terme tous ces dispositifs visent aussi à rassurer et préparer la sortie de crise. Certains pourraient craindre encore pour leur santé alors que l'activité va un jour ou l'autre reprendre", nous confiait Yann Ricordel, directeur général de G7,

Les plaques d'immatriculation font également office de codes-barres facile à scanner pour les autorités qui souhaiteraient contrôler les flux de déplacement via les radars, comme c'est le cas à Dubaï par exemple. L'idée n'est pas encore évoquée directement en France mais on en parlait déjà comme une piste pour contrôler les véhicules autorisés ou non dans le cadre du système de vignettes Crit'Air et serait donc techniquement envisageable.

Un regain de "coups de coeur automobiles"?

En situation de déconfinement progressif depuis peu, la reprise de l'industrie et des ventes automobiles en Chine a rapidement été interprétée comme un signe de cet engouement plus intense que jamais pour la voiture individuelle. Un tableau qu'il convient toutefois de nuancer.

"Il y a un phénomène de mirages avec les commandes prises avant le confinement et qui constituent uniquement un rattrapage de ce qui n'a pas été livré pendant le gros de la crise", explique Eric Champarnaud, fondateur du cabinet d'analyse Autoways

Il ne croit pas en outre vraiment à un phénomène de "coup de coeur automobile" dans une situation de post-confinement: 

"Le parc automobile reste très jeune en Chine, avec des voitures qui ont moins de 5 ans en moyenne contre plus de 10 ans chez nous en France, ce qui vient réduire le potentiel d'achat actuellement."

Le ralentissement économique entraîne par ailleurs une chute des revenus des ménages, ce qui n'encouragerait pas les achats automobiles. Mais, ironiquement, une certaine forme "d'épargne contrainte", du fait d'une consommation limitée pendant le confinement, et dans un contexte où il y aurait peu d'opportunités de dépenses à la sortie, pourrait tout de même favoriser des achats de voitures neuves.

"Si on se projette en juin avec des restaurants toujours fermés, des voyages toujours interdits ou très limités, pas d'hôtels, un marché immobilier encore trop incertain au niveau des taux et des prix, à la fin, on pourrait se dire: 'je vais me faire plaisir, je vais acheter une voiture', car cela reste un bien durable important et un bien de consommation", analyse Eric Champarnaud.

Il estime toutefois que ce scénario devrait rester marginal et concernera qu'une partie plutôt aisée de la population. Le réflexe restant, dans une période d'instabilité, de conserver une épargne de précaution. 

La question se pose aussi du côté de l'offre, avec une industrie qui prépare peu à peu la réouverture des usines. En France, Toyota vient d'annoncer la réouverture de son site d'Onnaing (Nord) le 21 avril. Les associations professionnelles comme la PFA ou le CNPA militent de leurs côtés pour une réouverture dans des conditions sanitaires adaptées des concessions et des services automobiles comme les garages pour limiter la casse financière. 

Des mesures de soutien sont également attendues

Pour soutenir une demande qui devrait rester timide, la question du soutien à une industrie quasi à l'arrêt émerge également.

"En prenant en compte l'importance des emplois directs et indirects du secteur automobile dans les principales zones économiques du monde, un soutien des Etats paraît quasi-incontournable, mais reste à savoir sous quelle forme?", indique Flavien Neuvy, directeur de l'observatoire Cetelem de l'automobile:

Alors que la prime à la conversion est toujours active mais moins "généreuse", un retour d'une prime à la casse plus globale se pose. Mais difficile d'imaginer encore un mécanisme qui encouragerait l'achat de n'importe quelle voiture neuve alors que les dispositifs actuels visaient avant tout à "verdir le parc". Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a évoqué la piste d'incitations plus fortes pour des achats de véhicules électriques, ce qui risquerait d'avoir cependant peu d'effets avec une demande encore limitée:

"Le problème c'est que la voiture électrique rapporte peu de marges aux constructeurs automobiles, note Flavien Neuvy. Le lancement de nombreuses voitures électriques cette année s'expliquait surtout par des contraintes réglementaires plus importantes en Europe, obligeant les constructeurs à vendre des modèles zéro émission pour échapper à de lourdes amendes."

Au-delà des aides à l'achat, il faudrait donc envisager une suspension ou une baisse des exigences en termes d'émissions de CO2 pour ne pas venir sanctionner "injustement" des constructeurs très touchés par la situation actuelle. Un sujet qui devrait émerger rapidement à Bruxelles, même s'il devrait se heurter à un dilemme entre préoccupations environnementales et soutien à l'économie réelle.

Vers un cercle vicieux automobiles-bouchons-pollution?

Ce contexte de reprise des achats automobiles, également tirés par les promotions que pourraient pratiquer les grandes marques, et un usage plus prononcé de la voiture individuelle, fait craindre à certains des scénarios-catastrophes.

C'est ce que redoute Mathieu Chassignet, ingénieur à l'Ademe ('Agence de la Transition Écologique) spécialiste en "mobilité durable", dans un tweet où il commente les statistiques comparées du trafic automobile sur les autoroutes en Chine, en légère hausse par rapport à l'an dernier depuis la sortie progressive du confinement. 

Les bouchons que généreraient cette recrudescence du trafic aggraveraient la pollution. Au-delà de la qualité de l'air dégradée et des risques pour la santé, une étude italienne avait établi un lien entre émissions de particules fines et propagation du coronavirus. Une perspective inquiétante alors que la prudence sanitaire sera de mise pour éviter un retour d'une forte propagation du virus.

Un mix à trouver entre voiture, mobilités douces et train

Le vélo (tout comme l'ensemble des "mobilités douces" si on pense notamment aux trottinettes électriques) pourra être une solution de report intéressante pour les usagers des transports en commun, ce que plaide notamment l'écologiste Pierre Serne. L'installation de pistes cyclables provisoires permet certes d'augmenter l'espace disponible mais il reste difficile d'apprécier réellement la capacité du réseau, même augmenté temporairement, à encaisser un afflux de cyclistes qui respecteraient pas les gestes barrière. Une étude belgo-hollandaise évoque une distance de sécurité de 10 voire 20 mètres à respecter. 

Le train, aussi, veut s'imposer comme une réponse à cette problématique des déplacements bas-carbone en période post-confinement: 

"Si la voiture individuelle est la grande gagnante, c'est que nous aurons raté quelque chose. Le fardeau de la preuve est sur nous, dans nos processus. Il faut montrer que prendre le train ne met pas en danger la santé des personnes. C'est vital", a déclaré le patron de la SNCF Jean-Pierre Farandou lors d'une audition mercredi dernier devant des membres de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

Une déclaration qui peut laisser songeur, alors que l'on parle depuis un certain temps de multimodalité en essayant d'améliorer la complémentarité entre différentes solutions de mobilité.

Au moment où le pays fait face à une des plus graves crises de son histoire, on peut déplorer que les modes de transport sont une nouvelle fois opposés dans une optique de défendre l'intérêt particulier de son entreprise ou de son secteur alors que l'heure est plus que jamais à une forme d'intelligence collective.

Julien Bonnet