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Interdire totalement l’alcool au volant est-il vraiment efficace?

Le ministre de l’Agriculture s’est prononcé pour une tolérance zéro sur l’alcool au volant. Certains pays européens appliquent déjà une telle politique, avec des résultats mitigés.

Une tolérance zéro pour l’alcool au volant, c’est la proposition avancée ce dimanche par le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume. "Lorsqu’on conduit, on ne doit pas boire", a expliqué ce dimanche à nos confrères de RTL et du Figaro le ministre. Mais faire passer le taux d’alcoolémie de 0,5 gramme par litre de sang actuellement à 0 ne semble pas convaincre les représentants d’association contre la violence routière.

"Un taux zéro pas réaliste"

"Adopter un taux zéro ne nous parait pas réaliste du tout, résume Anne Lavaud sur BFMTV. Vous avez l’alcool que vous buvez directement, mais vous en trouvez aussi dans certains plats ou médicaments, et dans ces cas-là, c’est difficile de mettre un taux zéro".

Passer à un taux zéro avait déjà été évoqué en 2012, et déjà, les associations se montraient réticentes. "Nous ne sommes pas en faveur de nouvelles lois alors que les anciennes ne sont pas complètement appliquées, notamment la loi Evin", avait réagi auprès de l'AFP Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière.

Il faut avant tout appliquer la loi

Certains pays en Europe appliquent déjà un taux zéro. C’est le cas en Ukraine, en Roumanie, en Albanie, en République Tchèque et en Slovaquie. Les pays nordiques ont eux un taux très bas: 0,2 gramme par litre de sang, soit le taux appliqué aux jeunes avec un permis probatoire en France. En Allemagne, les jeunes conducteurs de moins de 21 ans n’ont également pas le droit à la moindre goutte d’alcool.

"Le Royaume-Uni, malgré une limite d’alcoolémie fixée à 0,8 gramme par litre, a une mortalité très faible alors que la République tchèque, qui l’a fixée à zéro, a une forte mortalité, soulignait en 2017 dans Le Figaro le Professeur Michel Reynaud (faculté de Paris Sud), président du Fonds actions addictions. Il est vrai que la mesure n’est pas appliquée".

Au Royaume-Uni, être pris avec une alcoolémie dépassant la limite légale au volant entraîne une amende qui peut dépasser les 5000 euros et une suspension du permis de conduire.

Cette inefficacité des politiques trop fermes de lutte contre l'alcool au volant relevée par le Professeur Michel Reynaud ressort d’une étude menée au niveau européen. Le résumé de cette étude publiée dans Transportation Research met en lumière une forte présence de l’alcool dans les accidents mortels dans les pays de l’Est, là où s’affichent une tolérance zéro.

Miser sur la prévention

L’étude pointe qu’au-delà de cette interdiction totale, des prix plus élevés de l’alcool ou un âge plancher plus élevé pour en acheter permettent de réduire la mortalité liée à l’alcool au volant. Multiplier les politiques pour limiter la consommation d’alcool semble donc une solution plus efficace. C’est ce qui ressort d’une autre étude, publiée sur le site de la commission européenne en 2014 et qui a étudié différentes mesures, dont les programmes de prévention.

"L’analyse coûts-avantages réalisée aux Pays-Bas (SWOV 2009) part du principe que les programmes de prévention de la consommation liée à l’alcool sont à 75% plus efficace que le retrait de permis pour éviter la récidive", peut-on lire dans cette étude.
"Les Français n’ont toujours pas conscience du risque mortel de l’alcool ou de l’alcool au volant, et une politique de sécurité routière qui n’est pas comprise, intériorisée, risque fort d’être rejetée, explique dans un communiqué l’avocate du droit routier Maître Jehanne Collard. Il faut multiplier les campagnes de prévention. Il faut diffuser les images choc de ces corps mutilés, de ces vies brisées par les automobilistes éméchés ou défoncés. Il faut parvenir à un rejet massif de cette barbarie routière par l’opinion. Ce n’est qu’ainsi qu’on gagnera le combat".

Un éthylotest antidémarrage

L’étude européenne pointe également l’intérêt des éthylotests anti-démarrage pour éviter la récidive. C’est l’une des solutions évoquées par Anne Lavaud:

"La tolérance zéro ne marche pas. Il faut bien sûr agir sur l’alcool, poursuivait la déléguée générale de l’association Prévention routière. Et on sait très bien le faire puisqu’on l’a déjà fait sur les autocars et le transport scolaire. L'éthylotest anti-démarrage est installé sur l’ensemble des autocars et le transport scolaire, cette solution existe depuis des années et a donné d’excellents résultats. Elle oblige le conducteur à souffler dans un éthylotest. Si l’appareil dit que le taux d’alcool est compatible avec la conduite le véhicule va démarrer. Pour nous, il faut le généraliser à tous les véhicules".

Le gouvernement compte étendre son usage à la place d’une première suspension de permis. Selon le baromètre 2018 de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), 18% des auteurs présumés d’accidents mortels étaient sous l’emprise d’alcool.

Pauline Ducamp