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Des pièces détachées automobiles moins chères? Ça profitera surtout aux assureurs

Les constructeurs profitent en France d'un monopole sur la vente de pièces neuves

Les constructeurs profitent en France d'un monopole sur la vente de pièces neuves - CYRIL FOLLIOT / AFP

Edouard Philippe a proposé cette semaine de libéraliser le marché des pièces détachées. La France fait en effet figure d'exception parmi ses grands voisins européens. Mais cette mesure, censée redonner du pouvoir d'achat aux Français, serait surtout profitable aux assureurs, nuirait à la filière du recyclage et inonderait le marché de pièces étrangères, selon le fondateur du site de pièces détachées Yakarouler.

Cela fait partie des principales mesures envisagées par le gouvernement pour redonner du pouvoir d'achat aux Français: l'ouverture à la concurrence du marché des pièces détachées afin d'en faire baisser les prix. Édouard Philippe vient en effet d'annoncer que des mesures seraient prises en ce sens dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui doit être adoptée avant l'été.

En quoi consiste ce projet?

Le constat dressé par Matignon est assez simple: le budget des Français en matière de réparations automobiles a nettement augmenté ces dernières années, en partie avec le prix élevé des pièces détachées.

Or, la France est dans une situation un peu particulière. Contrairement à nos principaux voisins, les parties visibles du véhicule, comme les rétroviseurs et les éléments de carrosserie, sont protégées par des droits de propriété intellectuelle. Les constructeurs automobiles français ont ainsi l'exclusivité de la distribution de ces pièces sur le marché national, tirant ainsi les prix vers le haut. Si vous avez besoin d'un rétroviseur neuf pour votre voiture française, votre garagiste s'approvisionnera directement auprès de la marque.

Reprenant un avis de l'Autorité de la concurrence publié en 2012, Edouard Philippe propose donc une libéralisation progressive de ce marché. Si aucun calendrier n'a été encore fixé, le marché serait d'abord ouvert pour les rétroviseurs, phares et vitrages puis, dans un second temps, pour les pièces de carrosserie.

L'UFC Que-Choisir avait estimé en février dernier que la libéralisation de ce marché des pièces détachées pourrait "libérer" 415 millions d'euros de pouvoir d'achat. Un chiffre repris par le gouvernement pour évoquer l'impact potentiel de cette mesure.

Une fausse bonne idée?

Présentée ainsi, cette mesure semble aller dans le bon sens, surtout après les révélations sur les manipulations des prix des pièces détachées. Mais ce serait loin d'être le cas, estime Yann Gyssels, fondateur du site Yakarouler.

D'après lui, la mesure profiterait surtout aux assureurs, principaux acheteurs de pièces détachées neuves dans le cadre des réparations prises en charge. C'est d'ailleurs un effet anticipé par le gouvernement, qui compte sur une baisse des primes d'assurance pour redonner du pouvoir d'achat aux Français. Mais rien ne garantirait que la réduction du prix des pièces soit répercutée sur le coût des assurances.

Autre gros problème posé par cette libéralisation: les pièces neuves plus abordables viendraient concurrencer les pièces de réemploi. Depuis peu, cette solution permet en effet aux particuliers de pouvoir acheter une pièce d'occasion pour leur réparation et fournit donc déjà une alternative au neuf. 

"Le système des pièces de réemploi s'impose comme une solution vertueuse. Il donne une seconde vie à des composants en bon état et renforce la valeur des VHU (véhicules hors d'usage) qui ne finissent plus à pourrir au bord des routes mais finissent bien dans des casses qui assurent le recyclage", souligne Yann Gyssels.

Si, désormais, les réparateurs sont en effet tenus de proposer une pièce de seconde main lors d'une réparation, il est toutefois difficile d'évaluer l'efficacité de cette mesure. C'est d'ailleurs un des arguments du gouvernement pour lancer ce projet de réforme du marché des pièces détachées. Cependant, pour Yann Gyssels, il faudrait améliorer cette filière de la pièce de seconde main plutôt que de lui présenter une concurrence qui risque de la détruire.

Enfin, comme nos voisins européens proposent déjà des pièces dites "adaptables" (des pièces neuves mais produites par une autre entreprise que le fournisseur d'origine), le marché français pourrait se retrouver inonder de pièces produites à l’étranger en cas de libéralisation trop brutale. La mesure ne profiterait donc pas à l'emploi en France. Au contraire, avec la baisse des marges liées à ce monopole, les constructeurs français pourraient même réduire leurs effectifs dans les concessions.

Julien Bonnet